10/03/2025 journal-neo.su  9min #271221

Une explosion des dépenses militaires mondiales : Se préparer à la guerre ou sécuriser la paix ?

 Ricardo Martins,

Sommes-nous en marche vers une sécurité renforcée ou un conflit inévitable ? Alors que les budgets de la défense s'envolent, les nations doivent trancher : le réarmement garantit-il la paix ou alimente-t-il l'escalade des tensions ?

Le contexte

Une augmentation spectaculaire des dépenses militaires est en cours à l'échelle mondiale, soulevant des questions cruciales sur l'équilibre de la sécurité internationale. L'Union européenne envisage un plan de défense de 800 milliards d'euros sur quatre ans, avec une augmentation moyenne de 1,5 % du PIB consacré aux dépenses militaires.

Pendant ce temps, la Chine a de nouveau augmenté son budget de la défense de 7,2 %, poursuivant son expansion militaire constante. Elle détient désormais la première marine mondiale et investit massivement dans les missiles balistiques.

Les États-Unis, quant à eux, restent le leader incontesté avec un budget colossal de 968 milliards de dollars en 2024, éclipsant les autres nations en matière de dépenses militaires.

Malgré les sanctions économiques et la guerre prolongée en Ukraine, la Russie maintient un budget militaire impressionnant de 146 milliards de dollars, qui lui a permis de prendre la tête du développement des missiles hypersoniques. Parmi eux : Kinzhal (Kh-47M2) - Missile balistique aéroporté atteignant potentiellement Mach 10 ; Avangard - Véhicule de glisse hypersonique déployé sur des ICBM, dépassant Mach 20 ; Zircon (3M22 Tsirkon) - Missile de croisière hypersonique conçu pour une utilisation navale, atteignant Mach 8-9 ; et Burevestnik - Missile de croisière à propulsion nucléaire, potentiellement doté de capacités hypersoniques.

Les États-Unis auront encore besoin de plusieurs années pour rattraper ces technologies. En raison de contraintes budgétaires, la Russie a choisi de concentrer ses efforts sur les missiles hypersoniques, dont certains sont quasiment impossibles à intercepter.

Les pays européens augmentent également leurs budgets militaires : l'Allemagne consacre 86 milliards de dollars à sa défense, le Royaume-Uni atteint 81 milliards de dollars et la France alloue 64 milliards de dollars.

Des pays plus petits, comme la Pologne et l'Ukraine, investissent eux aussi massivement dans leur défense, témoignant d'un sentiment d'urgence croissant dans un paysage géopolitique de plus en plus tendu.

Un conflit est-il inévitable ?

Ces chiffres vertigineux soulèvent une question essentielle : se prépare-t-on à un conflit inévitable, ou ces investissements visent-ils à sécuriser la paix par la dissuasion ?

Historiquement, les courses aux armements ont souvent dégénéré en confrontations directes, mais les théoriciens de la défense soutiennent qu'une capacité militaire forte agit comme un facteur stabilisateur, dissuadant toute agression par la démonstration de puissance.

Alors que les nations allouent des ressources de plus en plus conséquentes à leur expansion militaire, les dirigeants mondiaux doivent trouver un équilibre entre impératifs sécuritaires et diplomatie. Le véritable défi consiste à éviter une spirale des armements et à faire en sorte que ces investissements sans précédent contribuent à un ordre mondial stable et sécurisé.

Réarmer ou ne pas réarmer : telle est la question

Les budgets militaires explosent, les alliances se renforcent et les tensions géopolitiques s'intensifient. Le dilemme est clair : les nations doivent-elles continuer à développer leurs capacités de défense, ou existe-t-il encore une place pour une approche plus pacifiste de la sécurité internationale ?

Arguments en faveur du réarmement

Dissuasion et sécurité : Une armée bien financée constitue un rempart contre d'éventuels agresseurs. Dans un monde où des conflits comme la guerre en Ukraine perdurent et où la Chine et les États-Unis étendent leur influence dans l'Indo-Pacifique, de nombreux États considèrent la puissance militaire comme un élément fondamental de leur sécurité nationale.

Supériorité technologique : Le financement militaire stimule les avancées technologiques, non seulement en matière d'armement, mais aussi dans des domaines comme la cybersécurité, l'intelligence artificielle et l'exploration spatiale, qui peuvent également avoir des applications civiles.

Alliances et influence stratégique : Les pays investissant massivement dans leur armée disposent d'un poids plus important au sein des alliances internationales, telles que l'OTAN, l'Union européenne ou d'autres pactes de sécurité régionaux. Des forces militaires renforcées contribuent à améliorer les stratégies de défense collective.

Stimulation économique : L'industrie de la défense crée des emplois, favorise la recherche technologique et stimule la croissance économique. Historiquement, les dépenses militaires ont été utilisées comme levier pour relancer des économies en difficulté.

Arguments contre le réarmement

Risque d'escalade : L'histoire montre que les courses aux armements peuvent dégénérer en conflits ouverts. Une accumulation de forces militaires ne garantit pas nécessairement la sécurité et peut au contraire inciter les adversaires à renforcer leurs propres capacités militaires, augmentant ainsi les tensions.

Détournement des ressources des besoins sociaux : Chaque dollar investi dans l'armée est un dollar qui ne finance pas la santé, l'éducation ou la lutte contre le changement climatique. Dans un contexte de difficultés économiques, l'augmentation des budgets militaires peut peser lourdement sur les finances publiques et détourner des fonds des priorités sociales essentielles.

Prolifération nucléaire et instabilité mondiale : L'accroissement des investissements militaires, en particulier dans les capacités nucléaires, augmente le risque d'une confrontation à l'échelle mondiale. Une montée des tensions pourrait avoir des conséquences catastrophiques si les voies diplomatiques échouent.

L'illusion des solutions militaires : Les menaces contemporaines - cyberattaques, terrorisme, coercition économique - ne sont pas toujours les mieux combattues par des moyens militaires traditionnels. Une dépendance excessive à la force militaire pourrait occulter des approches alternatives favorisant une stabilité durable.

Approche théorique de l'augmentation des budgets militaires : dissuasion ou escalade du conflit ?

L'essor des dépenses militaires mondiales soulève une question centrale en relations internationales : les États se préparent-ils à un conflit inévitable, ou investissent-ils dans la dissuasion militaire pour préserver la paix ? Plusieurs théories apportent un éclairage sur ce débat.

  1. Le dilemme de sécurité (John H. Herz, Robert Jervis)

Le dilemme de sécurité postule que lorsqu'un État accroît ses capacités militaires pour assurer sa propre sécurité, les autres nations le perçoivent comme une menace et réagissent en conséquence, entraînant une course aux armements et une montée des tensions.

Herz (1950) a introduit ce concept, affirmant que la quête de sécurité peut paradoxalement engendrer une insécurité accrue.

Jervis (1978) a approfondi cette analyse en expliquant que les États interprètent souvent mal les intentions défensives des autres, exacerbant ainsi les conflits.

Dans cette perspective, l'augmentation des budgets militaires aux États-Unis, en Russie, en Chine et en Europe pourrait favoriser la méfiance mutuelle au lieu de renforcer la sécurité, augmentant ainsi le risque de guerre.

  1. La théorie de la dissuasion (Thomas Schelling, Kenneth Waltz, Glenn Snyder)

La théorie de la dissuasion soutient qu'une force militaire puissante prévient la guerre en rendant toute agression trop coûteuse.

Schelling (1966) a mis en avant le rôle des postures militaires et des menaces stratégiques pour maintenir la stabilité.

Waltz (1979), un néoréaliste majeur, a défendu l'idée que l'équilibre des forces nucléaires et conventionnelles empêche les guerres en assurant une destruction mutuelle en cas de conflit.

Snyder (1961) a souligné que la dissuasion efficace repose non seulement sur la capacité militaire, mais aussi sur la volonté de s'en servir.

Selon cette théorie, le renforcement militaire actuel, notamment au sein de l'OTAN, de la Russie et de la Chine, pourrait être interprété comme une stratégie rationnelle visant à préserver la paix plutôt qu'à provoquer la guerre.

  1. La théorie de la course aux armements (Lewis Fry Richardson, Robert Powell)

La théorie de la course aux armements affirme que les augmentations successives des capacités militaires conduisent souvent à la guerre plutôt qu'à la sécurité.

Richardson (1960) a utilisé des modèles mathématiques pour démontrer que les courses aux armements suivent souvent une dynamique d'action-réaction qui échappe au contrôle des États.

Powell (1993) a montré que l'incertitude et les problèmes d'engagement poussent les États à des expansions militaires compétitives, qui peuvent parfois conduire à des frappes préventives.

Ce cadre théorique met en garde contre un emballement incontrôlé des dépenses militaires, particulièrement dans des régions sous tension comme l'Ukraine et l'Indo-Pacifique.

  1. La théorie de l'équilibre des puissances (John Mearsheimer, Hans Morgenthau)

La théorie de l'équilibre des puissances suggère que les États renforcent leur armée pour empêcher qu'une seule puissance ne domine le système international.

Morgenthau (1948) considérait que la politique internationale est une lutte pour le pouvoir et que la force militaire est essentielle pour maintenir l'équilibre.

Mearsheimer (2001), figure clé du réalisme offensif, soutient que les grandes puissances recherchent une suprématie militaire pour assurer leur survie dans un système anarchique. Il affirme que la compétition pour la domination est inévitable et que l'augmentation des budgets militaires est une réponse naturelle aux changements géopolitiques mondiaux.

Selon cette perspective, les expansions militaires des États-Unis, de l'Europe, de la Chine, de la Russie, de l'Inde et de la Turquie ne se limitent pas à la défense, mais s'inscrivent dans une lutte plus large pour l'influence et l'hégémonie régionale et mondiale.

Conclusion : la place du pacifisme est-elle encore possible ?

Dans un monde marqué par une nouvelle ère de multipolarité et de rivalités, le pacifisme peine à trouver sa place. Si la dissuasion militaire demeure la stratégie dominante, les mouvements prônant la diplomatie, le contrôle des armements et la prévention des conflits ne sont plus au cœur des priorités internationales. L'Union européenne, par exemple, a progressivement abandonné les solutions diplomatiques, tandis que l'ONU continue de promouvoir les missions de maintien de la paix et les traités de désarmement, avec un succès limité.

Malgré une augmentation historique des dépenses militaires, le pacifisme ne disparaît pas pour autant. Certains chercheurs plaident en faveur d'un « pacifisme stratégique », combinant préparation militaire et engagement diplomatique fort pour la résolution des conflits et la prévention des crises.

L'enjeu est de garantir que l'augmentation des budgets militaires ne vienne pas supplanter les efforts diplomatiques, mais les renforce en tant que composante d'une stratégie de sécurité plus globale.

Finalement, l'évolution de la scène militaire mondiale dépendra de la manière dont les États utiliseront leurs forces : renforcer la dissuasion et maintenir un équilibre multipolaire ? (comme le préconisent les théories de la dissuasion et de l'équilibre des puissances) ; ou déclencher une course aux armements destructrice ? (comme le redoutent les partisans du dilemme de sécurité et de la course aux armements)

Dans cette ère de tensions accrues, une question demeure : le renforcement militaire empêchera-t-il la guerre, ou finira-t-il par la provoquer ?

Ricardo Martins - Docteur en sociologie, spécialiste des politiques européennes et internationales ainsi que de la géopolitique

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